Dossier

LES GISEMENTS DE VERTEBRES
FOSSILES DU TARN

HISTORIQUE DES DECOUVERTES ET REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

LE LUTETIEN (EOCENE MOYEN)

par Philippe Fauré



LES ARGILES A GRAVIERS DE MAZAMET

On désigne sous l’appellation des « Argiles à graviers » un ensemble de couches détritiques à matrice argileuse ferrugineuse dans laquelle sont noyés des galets de quartz plus ou moins grossiers. Cette formation, située à la base de la série Paléogène, ourle la périphérie de tous les massifs anciens, Montagne Noire, Massif de l’Agout, Sidobre, qu’elle recouvre jusqu’à une altitude approchant 600 m. Ces sédiments comblent la vallée du Thoré, jusqu’au méridien de Lacabarède.

Mouline (1985, 1889) va montrer que le complexe des Argiles à graviers correspond à une sédimentation proximale en provenance du Paléo-Massif Central, sous forme de coulées boueuses et d’écoulements en nappes, à éléments paléozoïques ou quartzeux. Ces matériaux sont, pour l’essentiel issus du démantèlement des paléoaltérites qui le recouvrent, sous l’effet d’un climat devenu subitement très pluvial au début de l’Eocène.

Un historique plus détaillée des étapes qui ont conduit aux datations des Argiles à Graviers du Castrais, est traité par ailleurs sur le présent site.


Lithostratigraphie, âge de la formation

Nommée par Vasseur « Sables et argiles à graviers de Mazamet » (1893-94 I), puis « Argiles à graviers de Mazamet », cette formation comporte deux ensembles sédimentaires superposés :

- La Brèche des Estrabauts : sables, graviers et conglomérats à éléments de gneiss, de micaschiste, de quartz et de roches cristallophylliennes altérées, passant probablement aux Brèches de Rigautou, à l’Ouest de Mazamet.

-  Les Argiles kaoliniques de Rieusequel : argiles rouges, alternativement sableuses et franches, exploitées par plusieurs tuileries des environs de Saint-Amans
Des argiles ligniteuses situées au sommet de cette assise fournissent, à Saint-Amans-Soult, une palynoflore d’âge l’Ilerdien (= Yprésien inférieur)(Combaz et Mouline, 1967). La base de la formation n'est pas datée. Il n'est pas exclu que le Crétacé supérieur puisse y être représenté.

- Les Argiles et sables placés sous le Calcaire de Castres : A l’Ouest de Mazamet, ce sont des argiles rouges à graviers, puis niveaux détritiques plus fins, gréseux ou limoneux directement sous-jacents aux calcaires.



Argiles rouges placées sous le Calcaire de Castres et de Labruguière (entre Payrin et Caucalière)

Un niveau élevé de cette formation aurait fourni les fossiles de « Lophiodon d’Issel » examinés par Noulet (1868) et Caraven-Cachin (1898) dans des collections privées aujourd’hui disparues de Mazamet, puis par Stehlin (1904), qui dispose miraculeusement d’un échantillon au musée de Bâle attribuable à une dent de Lophiodon isselense. Ce fossile ne dément pas l’équivalence des Argiles à graviers avec les Grès d’Issel dont l’âge Lutétien supérieur est érigé en certitude depuis les travaux de Vasseur (1896) et de Richard (1946).
Mais l'âge des "couches d'Issel" reste incertain et est l'objet de nombreuses discussions :
- Lutétien supérieur à Bartonien selon la révision paléontologique de Marandat (1987). Elles sont classées par Sudre et al. (1992) au niveau de la Biozone MP14 du Bartonien basal.
- Plus anciennes selon Godinot et al. (2018) qui place les Grès d'Issel dans le Lutétien inférieur, proche de la limite Yprésien-Lutétien, en équivalence de la biozone MP 11.


Il est vraisemblable que l'on puisse placer, de façon imprécise, dans le Lutétien inférieur, Biozone MP 11-12, le sommet des Argiles à graviers en attendant la révision du fossile du musée de Bâle ou mieux, la découverte de nouveaux fossiles.


LES CALCAIRES DE CASTRES ET DE LABRUGUIERE


Les Calcaires du Causse de Castres et de Labruguière occupent la partie axiale d’une dépression située dans le prolongement occidental du « Sillon du Thoré » où leur épaisseur atteint une centaine de mètres. Ils s’étendent sur une largeur de 15 km environ, entre le front nord de la Montagne Noire et les terrains anciens du Massif de l’Agout et du Sidobre. A l’Ouest, ils s’enfoncent sous les molasses de l’Eocène supérieur où ils sont reconnus en sondage sur une trentaine de kilomètres encore.

Comme pour la plupart des formations continentales de l’Aquitaine, l’âge des calcaires du « Lac de Castres » est resté longtemps approximatif, essentiellement étayé par des mollusques à faible valeur biostratigraphique, car les restes de vertébrés y sont rares. Il n’est donc pas étonnant que les géologues aient recherché, à l’extrémité occidentale de la Montagne Noire, des équivalences stratigraphiques latérales avec les formations sédimentaires homologues de son versant sud, plus connues et jugées mieux datées.

Un historique plus détaillé des étapes qui ont conduit aux datations du Calcaire de Castres est traité par ailleurs sur ce site. Nous y renvoyons le lecteur.

Paysages du Causse des Calcaires de Castres et de Labruguière


Lithostratigraphie et âge de la formation :

Malgré leur homogénéité apparente les faciès carbonatés sont très diversifiés dans le détail et montrent l’empilement de séquences sédimentaires séparées par des discontinuités témoins d’autant d’arrêts de sédimentation. L’analyse des faciès, alternativement argilo-détritiques et franchement carbonatés, lacustres francs ou palustres, sont mise en relation par Mouline (1989) avec des alternances de périodes climatiques à tendance pluviale et de périodes à tendance aride.
Il est possible, à la suite de Mouline (1989), de reconnaître trois assises carbonatées successives :

- Le Calcaire de Castres et de Labruguière inférieur, dont seule la partie supérieure est visible dans la vallée du Thoré où il est surmonté par les Lignites d’en Gasc. Ce fin niveau de lignite autrefois exploité par un puits situé à Labruguière, était déjà exploité au XVIIème siècle d’après les témoignages de de Gensanne. Ils ont fourni une riche malacofaune décrite par Noulet (1854, 1868)

- Ls Calcaire de Castres et de Labruguière moyen : calcaire lacustre et palustre que surmontent des argiles carbonatées rouges : les Argiles du Rieu-Favié.

- Le Calcaire de Castres et de Labruguière supérieur, qui renferment une malacofaune abondante et a fourni dans les Carrières du Roc de Lunel, des fossiles de vertébrés que le rongeur Protadelomys alsaticus, place dans le Lutétien supérieur, Biozone MP 13 et que le Lophiodon rhinocerodes placerait plutôt dans le Bartonien basal, Biozone MP 14.

L’âge des parties inférieure et moyenne des Calcaires de Castres demeure donc encore inconnu : entre l’Yprésien et le Lutétien supérieur.


Découpage lithostratigraphique du Calcaire de Castres, d'après Mouline, 1989, fig. 138.
0-1. Argiles de la base des calcairs ; 2 : Calcaires inférieurs contenant les Lignites d'en Gasc ; 3. Calcaires moyens ; 4 ; Argiles de Rieu Favié ; 5. Calcaires supérieurs ; 6. Argiles d'Hauterive (Bartonien).


Apport des vertébrés à la datation des Calcaires de Castres. Un Historique :

Dufrenoy (1836) place les « Calcaires d’eau douce de Castres » dans le Tertiaire moyen (actuel Oligocène) « car ils sont semblables à ceux d’Agen et de Narbonne ». Pour de Boucheporn (1848), ils paraissent devoir être mis en équivalence avec le terrain nummulitique du versant sud de la Montagne Noire, et appartenir au Tertiaire inférieur (actuel Eocène). C’est avec les associations de mollusques que Noulet précisera cet âge à l’Eocène moyen.
Les fossiles de mammifères du Roc de Lunel que lui présente le Dr Parayre et Roux du Carla lui confirment cette datation. Noulet (1863) y reconnait « Lophiodon lautricense, Palaeotherium minus et Paloplotherium minus ». Ces déterminations sont confirmées par Filhol (1888) qui figure certains spécimens en 1888 dans son mémoire sur Issel. Noulet décrira en 1863, sous les noms de Aphelotherium rouxi et de Crocodilius rouxi, des fossiles provenant de Sagnes, toujours au sommet du Calcaire de Castres, que Roux du Carla découvre dans un niveau de lignite.

Pour Stehlin (1904, 1905, 1909), le Lophiodon du Roc de Lunel est à rapporter à l'espèce Lophiodon rhinocerodes, forme dont le « caractère intermédiaire entre les Lophiodons du Lutétien et les Lophiodons géants du Bartonien évoque, pour ce gisement, un âge Lutétien terminal ». Quand au « Plagiolophus » signalé par Noulet dans le même gisement, il pourrait correspondre au Plagiolophus cartieri  « du Lutétien supérieur d'Egerkingen », du même âge (Stehlin, 1905, p. 352).

La stratigraphie et les discussions sur l’âge des calcaires de Castres et de Labruguière restent closes jusque dans les années 90. Elles seront à nouveau évoquées avec la découverte par Sige et Marandat (1994 in Astruc et al., 2003), d'une dent de rongeur dans un niveau argileux des Calcaires de Castres du Roc de Lunel que Escarguel (1999, p. 250) situe au sein de l’espèce Protadelomys alsaticus, dont l’âge est sensiblement identique à celui du niveau-type de Boutxwiller, soit du Lutétien supérieur, autour du Biozone MP 13.

suite. Gisements des Argiles à graviers et
des Calcaires de Castres et de Labruguière