Histoire de la Géologie

Le Dogger et le Malm ou Jurassique moyen et supérieur de la Grésigne et du Quercy.

Par Philippe Fauré

Les précurseurs

Dès son premier mémoire sur les « formations jurassiques du sud-ouest de la France », Dufrenoy (1829) attribut le calcaire des Causses du Quercy à l’Oolithe. Dans la vallée de l’Aveyron, entre Bruniquel et Villefranche, il place dans l’Oolithe inférieure les « calcaires lamellaires, fétides, qui forment les abrupts des gorges de l’Aveyron » qui, partout, recouvrent les marnes schisteuses fossilifères du « Système liasique ». Il complète sa coupe des « étages moyens et supérieurs du Jurassique » par des observations effectuées entre Figeac et Cahors où se montre la succession suivante :
- Oolithe moyenne : Calcaires oolithiques compacts ;
- Oolithe supérieure : Calcaires compacts et marnes « pétries d’une immensité de petites gryphées de l’espèce gryphaea virgula ».
L’auteur précise également le mode de gisement des « minerais de fer oolithiques » (actuel Sidérolithique) qui alimentent l’usine de Bruniquel et qui proviennent de cavités (que nous appelons maintenant karstiques) situées à la surface de ce calcaire, gisements que l’ingénieur des mines Berthier (1810) venait de décrire.

Dans l’explication de la Carte géologique de France, Dufrenoy et Elie-de-Beaumont (1848) ajoutent de nouvelles observations faites autour de Terrasson, de Saint-Céré, de Saint-Cirq, de Figeac et de Villefranche-de-Rouergue.
Près de cette localité, se montre le « minerai de fer oolitique de Veuzac », dans lequel ils croient reconnaitre « l’Oolithe bajocienne de Moutier, près de Bayeux ». Il le placent dans l’Oolithe, ainsi que les « Marnes bleues à bélemnites et ammonites qui appartiennent aux marnes du Lias ou plus exactement à l’Oolithe inférieure » (sic). Bien que très confus dans leurs attributions stratigraphiques, c’est bien notre Pliensbachien supérieur et la totalité de notre Toarcien que les deux auteurs placent dans l’Oolithe inférieure. Les « couches à gryphées cymbium » (notre Assise à Gryphées) sont donc clairement située dans le même étage, avec les calcaires oolitiques sus-jacents « qui sont très fossilifères à Mauriac » (nos calcaires aaléniens). Ils signalent aussi pour la première fois les calcaires à niveaux ligniteux de Cadrieu, près de Cajarc (notre Bathonien).

C’est avec une illustration de de Boucheporn (figure p. 684 reproduite ci-dessous) que finit le chapitre sur les terrains jurassiques du Quercy, dessin qui représente, vu du plateau de Saint-Antonin, « un véritable résumé graphique de la partie inférieure de ces terrains… entre la Grésigne et les gorges de l’Aveyron ».

L’ingénieur des mines de Boucheporn (1848) place dans l’« Oolithe » les calcaires des causses qui surmontent les marnes tout autour de la Grésigne. Ils ne lui ont fourni aucun fossile et il n’opère aucune tentative de subdivision.
Il note encore que le « minerai de fer en grains » qui comble les anfractuosités de surface du calcaire, que l’on exploite près de Puycelsi, «  représente probablement la série des terrains crétacés dans le Tarn ».

Les calcaires de « l’Oolithe » lui inspirent une réflexion dont la portée dépasse le seul cadre du Jurassique. Il note que des cavités renferment des ossements brisés et des silex taillés « qui ont exigés la main intelligente de l’Homme, et elles concourent donc… à prouver l’existence de la race humaine antérieurement aux derniers cataclysmes qui ont pu modifier le sol de nos contrées ». Cette réflexion est particulièrement novatrice. Il n’en tire cependant aucun développement.

Extrait de la carte géologique de la région de la Grésigne par l'ingénieur des mines
de Boucheporn (1848)
. Le Jurassique est figuré en bleu

 

Premiers essais de stratigraphie

Magnan, dans son étude sur les formations secondaires entre les vallées de la Vère et du Lot (1869), expose une première succession des séries carbonatées du Causse du Quercy et applique le premier un découpage en étages selon la toute nouvelle terminologie de d’Orbigny (1849 à 1852). Il fait débuter l’Oolithe inférieure par les « Calcaires marneux noduleux et schisteux à Ostrea sublobata… qui marquent le plan de séparation du Lias et de l’Oolithe inférieure… » et relève ensuite :
Oolithe inférieure ou Bajocien : calcaires jaunâtre encore fossilifères (notre Aalénien) ; épaisse assise de dolomies noires fétides, ruiniformes ; calcaires oolithiques.
Oolithe inférieure ou Bathonien : « Couches ligniteuses de Cadrieu », puis calcaires oolithiques.
Oolithe moyenne : Calcaires marneux et marnes grises à Astartes (Callovien), puis calcaires cristallins compacts en petites couches (Oxfordien).
Oolithe supérieure ou Corallien : Calcaires à nérinées, polypiers.

Bleicher (1870, 1872) montrera qu’il est facile de séparer les dépôts de l’Oolithe inférieur du Quercy en deux étages, le Bajocien et le Bathonien. La partie inférieure du Bajocien lui fournit de nombreux fossiles. Quand aux « calcaires à niveaux ligniteux et bitumineux » du Bathonien, il en donne une coupe très précise aux environs de Cajarc et cite une faunule de mollusques lacustres dont les espèces sont décrites par Sandberger et figurées dans son ouvrage « Land und Süsswasser Conchylien ».

Péron (1873) ne propose aucun découpage des calcaires des causses du Quercy qui « paraissent représenter la série des étages du Jurassique depuis le Kimméridgien inférieur jusqu’au Bajocien ». Il doute que le « Corallien » décrit par Magnan puisse représenter le dernier terme du Jurassique quercynois qui se développe bien davantage dans la partie centrale du Quercy.
Il s’attache donc à explorer les termes les plus récents des calcaires du Jurassique et c’est dans les carrières des environs de Sept-Fonts qu’il récolte de nombreux fossiles, analogues à ceux de la Pointe du Chay du littoral charentais, qui lui permettent de caractériser « l’Etage Séquanien » (actuel Oxfordien supérieur – Kimméridgien inférieur). Ces faunes, comptant de nombreux brachiopodes et échinides, n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune révision.

Rey-Lescure reprend le découpage de Magnan (1869) dans son « Esquisse agro-géologique et hydrologique… du département du Tarn et Garonne » (1874). Il développera ensuite la stratigraphie du Jurassique, en 1879, dans un travail préliminaire au lever de la carte géologique du département. Ses conclusions sont identiques à celles de Magnan émendées par Péron.

Caraven-Cachin (1898) adopte pour le Jurassique du Quercy, une division en « infra-, médio-, supra-Jurassique » inspirée du découpage tripartite du Jurassique germanique. L’ensemble atteint exactement l’épaisseur de 200 et 870 m (sic). Il n’apporte aucune nouveauté et applique strictement le découpage de Magnan et de Péron.
Comme eux, il place les « schistes noduleux à Ostrea sublobata et Rhynchonella cynocephala dans le Bajocien et souligne que ce terme constitue « le vrai plan de séparation entre Toarcien et assises médio-jurassiques »

Fournier (1898), qui est chargé du lever du Trias et du Jurassique de la carte géologique de Montauban au 1/80000, reprend globalement les attributions stratigraphiques de Péron en modernisant la terminologie stratigraphique. Sa coupe synthétique du Jurassique des environs de la Grésigne est celle-ci :
Bajocien : calcaires compacts et dolomies bien stratifiés « qui forment le bord des plateaux ».
Bathonien : calcaires en plaquettes et « zones lignitifères à faune d’eau douce ». Il découvre la faune saumâtre de Cajarc aux environs de Caylus et de Saint-Antonin.
Astartien : « Calcaires de Sept-Fonts » à la faune caractéristique étudiée par Péron (1874).
Les « Minerais sidérolithiques » qui les recouvrent parfois sont « assimilables, au point de vue de leur mode de formation,… aux Bauxites de Provence ».

On doit à Thévenin (1903) la première synthèse stratigraphique sur la bordure est-aquitaine, entre la Grésigne et le Détroit de Rodez. Il fournit d’importantes précisions stratigraphiques encore valables à ce jour :
Bajocien : Il individualise, le premier, le niveau constant des calcaires à concrétions oolithiques (nos calcaires à oncolithes).
Il démontre que les dolomies ruiniformes sus-jacentes sont issues de la dolomitisation « de proche en proche des calcaires primitivement oolithiques » du Bajocien et insiste sur la grande variabilité des faciès de cet étage.
Des calcaires oolithiques, non décrits auparavant, à faune du Bajocien, succèdent aux dolomies près de Bruniquel. Ces calcaires lui ont fourni un Parkinsonia à Mauriac (Villeneuve)(ammonite du Bajocien supérieur) (future Fm. Calvignac).
Un calcaire sublithographique, dans lequel il signale des oursins, se place au sommet du Bajocien. Cet âge ne sera pas remis en cause (ce niveau sera placé dans la Fm Cajarc, Mb. Larnagol).
Bathonien : Les calcaires en plaquettes à faune saumâtre de Cajarc lui livrent des mollusques d’eau douce et des végétaux aux environs de Saint-Antonin et de Caylus. Cette assise n’est pas visible plus au Sud. Il place très justement la « zone subcrayeuse blanche à oolithes » à la base du Bathonien. Cette limite est toujours valable.
Callovien, Oxfordien : Ce sont les « Calcaires sublithographiques du Causse d’Anglars,… calcaires qui constituent la partie la plus aride des Causses »
Astartien : « calcaires de Sept-Fonds » attribués à la base du « Pterocérien », auxquels succèdent plus au Nord, les calcaires marneux du Kimméridgien à Exogyra virgula.


Répartition géographique des faciès de la "série suprajurassique" du Quercy
entre vallée du Lot
et de l'Aveyron, par Thévenin, 1903


Lignites de la Gautario :
Ces lignites qui affleurent dans la vallée de la Vère entre Bruniquel et Larroque près du Moulin de la Gautario, sont reconnus par Caraven-Cachin (1898) qui en faisait du Sinémurien. La complexité structurale du couloir de faille de la vallée de la Vère explique la diversité des interprétations. Fournier (1898 et Fournier et al., 1901) les cartographie dans le Toarcien supérieur, Thévenin (1903) les place dans le Toarcien, Ellenberger (1937) dans l’Aalénien et Gèze et Durand-Delga (1943) dans du Domérien supérieur. Après les avoir placé dans le Bajocien supérieur, Durand-Delga (1943, inédit) les rapporte définitivement au Bathonien (1958, 1979) grâce à la découverte d’une faunule de bivalves de cet âge. Les lignites de la Gautario sont ainsi équivalents des lignites à faune saumâtre du Bathonien inférieur connus par ailleurs dans le Quercy. Fabre (1971) ne peut cependant placer de façon exacte de lignite de la Gautario dans la série du Bathonien du Quercy.


Ellenberger (1937)
reprend les attributions de Fournier et de Thévenin. L’auteur introduit l’étage Aalénien dans la nomenclature stratigraphique du Quercy et, conformément aux conceptions de Haug (1910), y place les niveaux à « Harpoceras aalense et à Gryphaea sublobata ». Le Bajocien correspond  à «  une puissante assise de dolomies et à un complexe variable latéralement de calcaires oolithiques, de calcaires crayeux et subcrayeux… ».

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