Histoire de la Géologie

Le Dogger et le Malm ou Jurassique moyen et supérieur de la Grésigne et du Quercy.
Travaux récents

Par Philippe Fauré


Gèze, Durand-Delga et Cavaillé (1947)
inaugurent une nouvelle approche dans l'étude des séries sédimentaires du Quercy avec un  premier essai de sédimentologie.
Ils montrent, notamment, que la fin du Lias est marquée par une phase de déformation tectonique qui induit « la discordance cartographique du Bajocien sur des niveaux variés du Toarcien, voire du Charmouthien ».
Ils constatent aussi l’instabilité de la sédimentation dans les calcaires du Bathonien et, dans une moindre mesure, de toute la partie supérieure du Jurassique.

L'essort de la micropaléontologie

Depuis la fin des années 1950, la recherche pétrolière est à l’origine d’une révolution des techniques de datation par l’utilisation systématique en subsurface des microfossiles, sur coupe mince ou sous formes dégagées. Les formations carbonatées du Quercy, qui ne renferment ni fossile index, ni ammonite, ont largement bénéficié des progrès de la micropaléontologie.

A la suite des premières études micropaléontologiques de Dépêche (1963) dans le Jurassique du Nord du Quercy, la thèse de 3ème cycle de Fabre (1971, 1973) représente une importante avancée dans la connaissance du Jurassique moyen de la région de la Grésigne.
Il y retrouve globalement la succession des termes énumérée par Thévenin (1903) mais montre la complexité des successions.
- Il fixe la limite Lias-Dogger, selon les résolutions du Colloque sur le Jurassique de 1962, sous les calcaires à oncolithes qu’il attribut le premier à l’Aalénien dans le Quercy (futur Mb. de la Toulzanié).
- Le « Bajocien oolithique » (futur Mb. de Calvignac) ne lui fournit aucune datation, mais il montre que les « Calcaires sublithographiques » de Thévenin (1903) renferment un ostracode d’affinité Bajocien supérieur à Bathonien inférieur (futur Mb. Larnagol, Fm. Cajarc).
- Il montre l’importance du Bathonien dans le secteur de la Grésigne, auquel il attribut l’essentiel des Calcaires du Causses d’Anglars de Thévenin, soit plus de 150 m de sédiments, grâce à des microfaunes d’affinités bathonienne (Kilianina blancheti, Alzonnella cuvillieri, Pfenderina salernitana,…) et à un brachiopode (Kallirhynchia gr. obsoleta). Il distingue, dans l’étage, quatre ensembles d’ambiances alternativement lagunaire et saumâtre. Les trois premiers, actuellement toujours attribués au Bathonien, préfigurent le découpage en membres de la Formation de Cajarc : Bathonien A et Bathonien B (= actuels Mb. de Larnagol et de la Bouye) ; Bathonien C (= actuel Mb. de Saint-Chels).
Un erreur d’interprétation du foraminifère Praekurnubia crusei var. corbarica, « espèce définie dans le Bathonien supérieur des Corbières » lui fait inclure dans le Bathonien les calcaires à Trocholines (Bathonien D) qui clôturent le Jurassique du secteur de la Grésigne (ils seront attribués au Callovien par Delfaud, 1978 et par Pélissié 1982 puis placés dans la Fm. Rocamadour, Mb de Marcilhac).

Figure-ci-dessus : La stratigraphie établie par Fabre et ses attributions sont reprises sans aucune modification par Durand-Delga dans son document sur la géologie de la Grésigne (1979)

Les synthèses à l’échelle de la Bordure Est-Aquitaine
L'étude séquentielle

A la même période débutent les travaux de Jean Delfaud qui livre lors de sa thèse (1963) et dans plusieurs articles (Delfaud, 1967, 1972), une ébauche de découpage lithostratigraphiques du Jurassique moyen et supérieur quercynois en « séries » préfigurant les formations que l’on utilise encore au Dogger et au Malm et qui, pour l’essentiel, restent valides (tableau ci-dessous).

La mise en évidence d’une large zone de vasière interne carbonatée qui intègre le Quercy, les Grands-Causses et la Bordure cévenole, isolée des mer ouvertes par des cordons oolitico-récifaux de haute énergie de direction N-S, conduira à la définition du « Haut-Fond occitan » (Delfaud, 1973).

Dès 1972, il applique au Jurassique de la bordure est-aquitaine les principes de l’analyse séquentielle par l’étude des enchaînements de dépôts et des suites de faciès et recherche méthodiquement toutes les discontinuités sédimentaires. Ainsi individualisées, à différentes échelles, il confronte ces séquences à divers modèles d’environnement des plates-formes et les reconstitue dans l’espace.
Le Jurassique moyen-supérieur du Quercy est découpé en deux mégaséquences de 4ème ordre contrôlées par le contexte tectonique et les rythmes climatiques (Delfaud, 1980).

Le modèle des plates-formes de la Bordure est-aquitaine lui permet de décrire deux types fondamentaux de séquences (Delfaud, 1980) (figure ci-dessous) :
- La séquence de plate-forme externe ou séquence klupfélienne.
- La séquence de plate-forme interne ou séquence quercynoise.




Les synthèses stratigraphiques

La thèse de spécialité de Pélissié (1982) fournira d’importantes précisions stratigraphiques sur les faciès carbonatés du Jurassique moyen et supérieur du Causse de Limogne qui seront aisément transposées à l’ensemble du Quercy (Astruc et al., 1998 feuille de Caussade, 2000 Feuille de Negrepelisse).
Les grandes formations proposées par Delfaud (1969) sont subdivisées en membres lithostratigraphiques plus facilement identifiables sur le terrain.
L’étude des microfaciès et des paléoenvironnements permet la révision du découpage séquentiel de Delfaud, cette fois, en trois mégaséquences séparées par deux discontinuités majeures.

Mais ce travail fournit surtout la première étude micropaléontologique des formations carbonatées fondée sur les grands foraminifères benthiques et des algues dasycladacées. Neuf biozones échelonnées de l’Aaléno-Bajocien au Kimmeridgien sont individualisées (Pélissier et Peybernès, 1982). Le Bathonien supérieur (Fm. Rocamadour), l’intervalle Callovien moyen - Oxfordien inférieur (Fm. de Vers), l’Oxfordien supérieur et le Kimméridgien inférieur (Fm de Cras),… sont nouvellement identifiés. Les genres nouveaux Limognella et Parainvolutina, sont nouvellement décrits ainsi que plusieurs espèces nouvelles : L. dufaurei, P. aquitanica et Trocholina gigantea. Des schémas de répartition paléoécologique des principaux microorganismes sont proposés.
Les microfossiles ne sont pas les seuls à donner des précisions puisque les brachiopodes lui permettent aussi plusieurs datations ponctuelles inédites : Aalénien moyen, avec Monsardithyris trilineata ; Bathonien supérieur avec « Burmirhynchia proteiformis », permettant l’identification du Bathonien supérieur (Fm de Cajarc).
Les Calcaires de Sept-Fonds sont placés dans la Fm de Cras (Mb. de Nouaillac) et l’âge donnée par Péron, Oxfordien terminal – Kimméridgien basal, n’est pas mis en cause (Astruc et. al., 1998 Caussade).


Lithostratigraphie, évolutions séquentielle et discontinuités du Dogger du Quercy,
d'après Cubaynes et al., 1989

Ces datations sont complétées pour le Kimméridgien et le Portlandien par de nombreuses ammonites récoltées par Hantzpergue et Lafaurie sur la bordure sud du Causse de Gramat dont les données, encore inédites en 1982, sont rapidement venues compléter les résultats biostratigraphiques acquis par Hantzpergue sur la Bordure nord de l’Aquitaine. Cinq horizons d’ammonites nouveaux y sont reconnus (Hantzpergue et Lafaurie, 1983).
La sédimentation terrigène de mer ouverte débute avec la Fm. Roquedure, précisément avec la Zone à Cymodoce, Sous-zone à Chatelaillonensis du Kimméridgien inférieur. La limite Kimméridgien - Portlandien est bien marquée par l’apparition de Gravesia gigas.
Un nouveau découpage lithostratigraphique en formations est proposé pour le Jurassique supérieur du Quercy. Il sera formalisé par Hantzpergue dans sa thèse (1987).


Lithostratigraphie, évolutions séquentielle et discontinuités du Malm du Quercy,
d'après Cubaynes et al., 1989


Les synthèses. Le contrôle eustatique

La précision des résultats obtenus dans les années 80, notamment par l’école toulousaine dirigée par le Professeur J. Rey, autorise en 1989 une synthèse aboutie intégrant l’ensemble des données biostratigraphiques, lithostratigraphiques et sédimentologiques obtenues durant les 10 années précédentes (Rey et al. 1988 ; Cubaynes et al., 1989).
Le Jurassique moyen et supérieur du Quercy y est divisé en 12 formations et 14 membres lithostratigraphiques, agencés en treize séquences majeures séparées par 21 discontinuités majeures bien datées (deux figures ci-dessus).

La comparaison des séquences avec les cycles eustatiques établis par Haq et al. (1987) montre le rôle dominant joué par les variations globales du niveau des mers dans l’évolution sédimentaire de la plate-forme quercynoise. Les séquences de dépôts apparaissent majoritairement tronquées à leur base : les prismes de bas niveau marin sont rares, les intervalles transgressifs très réduits, la sédimentation étant pour l’essentiel représentée par la superposition de prismes de haut niveau marin (Rey et al., 1995).


Peybernès et Pélissié (1985),
puis Pélissié et Astruc (1996) vont aussi montrer l’importance du contrôle de la tectonique dans la sédimentation du Jurassique moyen et supérieur du Quercy. Ils constatent la réactivation d’accidents hercyniens, selon trois directions préférentielles, N20, N100, N150, induisant une morphologie en blocs basculés active pendant toute la période de rifting de l’Aalénien au Bathonien supérieur (figure ci-dessous, in Pélissier et Astruc, 1996).

La discontinuité qui clôture cet épisode (discontinuité D17) est localement marquée par une discordance angulaire. Ils notent que, dans le contexte distensif lié à l’ouverture de l’Atlantique nord, des dissolutions d’évaporites peuvent avoir exagéré les variations brutales de l’épaisseur des sédiments d’origine tectonique.


L’un des derniers travaux effectué sur le Jurassique du Quercy sera la thèse de Lezin (Lézin et al., 1997 ; Lézin, 2000 ; Lézin et al. 2000 ; Lézin et al., 2007) sur le passage Lias - Dogger.
Cette étude minutieuse intègre de façon multi-disciplinaire l’analyse méthodique des faciès, sédimentologie, minéralogie des argiles et un synchronisme biostratigraphique rigoureux donné par les ammonites à l’échelle de l’Horizon (Lezin et al., 2007), permettant des reconstitutions paléogéographique très précises à l'échelle de l'horizon d'ammonites (figure ci-dessous in Lézin et al., 2007).


L’agencement et l’organisation paléogéographique des dépôts sont sous le contrôle de plusieurs facteurs cycliques dont elle précise le rôle respectif, au cours de cinq stades d’évolution tectono-sédimentaire :
- Un synchronisme relatif des séquences en rapport avec un contrôle d’échelle globale d’origine eustatique.
- Un morcellement polyphasé du bassin quercynois d’origine tectonique en une mozaïque de blocs d’où se dégage une morphologie en deux sous-bassins séparés par le Haut-Fond de Figeac-Capdenac (figure ci-dessous in Lézin et al., 2007).


Elle souligne le rôle majeur de la barrière oolithique aquitaine et du Seuil de Villefranche dans l’isolement relatif de la plate-forme carbonatée quercynoise (figure ci-dessous, in Lézin et al., 2007).

L’ensemble de ces données seront reprises dans le livret-guide de l’excursion GFEJ-AGSO (Cubaynes et al., 2004)

 

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