Histoire de la Géologie

Le Jurassique inférieur de la Grésigne et du Quercy.
Les précurseurs. Les premières études régionales

Par Philippe Fauré

Les précurseurs

On trouve la première description des dépôts d’âge liasique du Quercy en 1827 dans un mémoire de Dufrénoy sur les « minerais métallifères de la partie supérieure du Lias du sud-ouest de la France » dans lequel il donne une coupe du Jurassique des environs de Figeac. Il identifie aux étages supérieurs du Lias des « Marnes schisteuses noires bitumineuses » dans lesquelles il cite de nombreux fossiles et « des gryphées (Gryphaea gigantea, Maccullochii, cymbium) abondantes dans la formation qui les recouvrent ». Il s’agit de la première mention de l’Assise à Gryphées du Toarcien supérieur.
Le Calcaire à entroques de l’Oolithique qui les recouvrent sont parfois riches en amas de fer oxydé rouge exploitée au XIXème siècle pour le fer. Il s’agit, ici aussi, de la première mention de l’Oolithe de Veuzac, sur laquelle il reviendra en 1848.

Dufrenoy donnera en 1829 une coupe assez fidèle d’une partie du « Système liasique », en remontant la vallée de l’Aveyron, entre Bruniquel et Villefranche, dans son mémoire sur les « formations jurassiques du sud-ouest de la France » (figure ci-dessous). Il observe, dans le lit de la rivière, « un faciès de marnes schisteuses contenant une grande quantité d’ammonites,… des bélemnites, des pentacrines et des gryphées arquées,… fossiles appartenant pour la plupart au Lias ». Il en donne une première liste à la p. 383.
Les calcaires « lamellaires, fétides, qui les surmontent et forment les abrupts des gorges de l’Aveyron, appartiennent à l’Oolithe inférieure ». Il donne une description plus précise de l’assise à gryphées : « argiles contiennent une grande quantité de gryphites… les coquilles y sont si nombreuses, qu’à peine on peut voir les calcaires dans lequel elles sont empâtées ». Bien que l’auteur ne sache la tracer avec précision, il avance que cette couche pourrait se placer « à la séparation des formations oolitiques et du Lias » (p. 391).


Dans l’Explication de la Carte géologique de France, Dufrenoy et Elie-de-Beaumont (1848) ajoutent de nouvelles observations faites, autour de Terrasson, Saint-Céré, Saint-Cirq, Figeac et Villefranche-de-Rouergue. La coupe synthétique de « l’assise jurassique inférieure correspondant au Lias » qu’il donne entre Villefranche et Veuzac est très fidèle (figure ci-dessous) :
- «  calcaire compact remplis de cavités et comme carié et dolomies compactes » (nos brèches hettangiennes) ;
- « calcaire compact… rubané ou flambé » (nos calcaires à microrythmes sinémuriens)
- «  calcaire jaune, renfermant des rognons de silex » (nos calcaires argileux du Pliensbachien inférieur).
- « calcaire marneux à bélemnites, marnes bleues, Argiles micacées et qui appartiennent au marnes du Lias ou plus exactement à l’Oolithe inférieure (sic) » (nos marnes domériennes).
- « calcaire cristallin ferrugineux et couches d’oolithes ». Il s’agit du « minerais de fer oolitique » de Veuzac, dont Dufrénoy fait le premier niveau de l’Oolithe en raison de son faciès identique à celui de l’Oolite bajocienne de Moutier, près de Bayeux, en Normandie.


La coupe s’arrêtant ici, il ne peut observer les couches sus-jacentes qu’il croit appartenir uniquement à l’Oolithe.

Comme le montre bien sa coupe, et comme le prouvera Harlé quelques années plus tard, l’Oolithe de Veuzac, que surmontent les marnes toarciennes, appartient en réalité au Lias moyen et représente un faciès particulier de la Barre à Pecten du Pliensbachien supérieur 

La suite de la coupe est pourtant bien décrite aux environs de Figeac (p. 673) :
« argiles schisteuses noires à empreintes d’Ammonites Walcotti » (nos marnes toarciennes),
« couches à gryphées cymbium » (notre Assise à Gryphées) alors clairement placées dans l’Oolithe inférieure.

C’est avec une illustration de D. Boucheporn (figure p. 684 reproduite ci-dessous) que finit le chapitre sur les terrains jurassiques du Quercy, dessin qui représente, vu du plateau de Saint-Antonin, « un véritable résumé graphique de la partie inférieure de ces terrains… entre la Grésigne et les gorges de l’Aveyron ».

Dans sa Carte géologique du Tarn (1848), l’ingénieur des mines De Boucheporn montre que les terrains du «Calcaire jurassique» occupent la pointe du Quercy et entourent le massif de la Grésigne.
Dans son Explication (1848), il fait curieusement débuter le Jurassique avec les « grès siliceux blancs » que, déjà, Dufrénoy plaçait fort justement dans le Trias. Il affirme toutefois qu’il n’est pas impossible « que les couches… appartiennent encore à la formation du Grès bigarré » sous-jacent.
Il n’apporte aucune précision par rapport à la description du Jurassique. Au « Lias » il attribut une « épaisseur considérable… de calcaire cloisonné » (actuel Hettangien) et il signale dans les « marnes du Lias », plusieurs fossiles caractéristiques « des peignes aequivalvis » (actuel Pliensbachien) et « ammonites walcotii  « (actuel Toarcien »).

Extrait de la carte géologique de l'ingénieur des mines de Boucheporn (1848).
Le Jurassique est figuré en bleu

Harlé rectifie les attributions stratigraphiques de Dufrenoy (1848) et montre, en 1864, que le Toarcien est, en réalité, superposé, à l’Oolithe de Vieuzac et qu’il est présent, de façon constante dans les régions de Capdenac et de Villefranche.
Suivant la nouvelle classification des gryphées du Jurassique de Hébert (1856), c’est à une huître de l’Oolithe inférieure, Gryphaea sublobata DESHAYES, qu’il attribut la gryphée de l’Assise à gryphées « qui partout assure la transition entre le Lias et l’Oolithe inférieure ». Ce choix est malheureux mais connaîtra, jusqu’à nos jours, un grand succès.

Les premières études régionales

Magnan, qui s’était jusque là consacré à la géologie des Pyrénées, donne en 1869 la première étude régionale synthétique du Bas-Quercy, entre la vallée de la Vère et la vallée du Lot, et établit la stratigraphie du Jurassique du Bas-Quercy par d’importantes récoltes de faunes.
Il applique le premier le découpage en étages selon la toute nouvelle terminologie de d’Orbigny. Il n’est dans l’ensemble pas remis en cause :
- Infralias : Il n’identifie par l’Avicula contorta, comme il venait de le faire dans les Corbières, mais découvre dans les calcaires dolomitiques lités qui succèdent au grès du Trias, une faunule de bivalves (Gervillia praecursor, Myacites escheri, Mytilus minutum,..) dont il reconnaît le premier qu’elles « doivent se trouver au niveau de la zone à Ammonites planorbis et angulatus du Bassin du Rhône ». Cette interprétation (Hettangien inférieur) est toujours d’actualité.
- Lias inférieur ou Sinémurien : il lui attribue fort justement « une épaisseur considérable de cargneules… criblées de petites cavités… de dolomies fétides, ruiniformes… » (notre Hettangien), surmontées de dolomies rubanées, de calcaires flambés, de calcaires esquilleux (notre Sinémurien).
- Lias moyen ou Liasien : Il en précise le premier la succession complète et remarque qu’il débute par des « calcaire gréseux, à grains de quartz, sorte de grès » (cette assise, dont c’est la première description, est actuellement placée au sommet du Sinémurien). Au-dessus, il est le premier à distinguer la trilogie classique des dépôts du Lias moyen, encore utilisée :
. « Calcaires marneux bleuâtres en bancs bien réglés à A. jamesoni et A. capricornus » (notre Carixien).
. « Marnes grises,… à septaria et fossiles pyritisés et calcaires « en rang de pavés » (nos calcaires argileux et marnes du Domérien inférieur et moyen).
.  « Calcaires lumachelles, durs, ferrugineux » (notre Barre à Pecten du Domérien supérieur).
- Lias supérieur ou Toarcien : Calcaires gris en petits bancs (notre Toarcien moyen), puis marnes bleuâtres et marnes grises (notre Toarcien supérieur).
Il place les « Schistes noduleux à Ostrea sublobata » au « plan de séparation du Lias et de l’Oolithe inférieure… dans le Bajocien inférieur (selon la conception) de d’Orbigny ».

Une erreur d’interprétation tectonique l’amène à identifier à du Permien marin (Zeichstein), les calcaires liasiques du plateau de Tonnac situés dans la partie orientale de la Grésigne (ci-dessous).
Mais cette découverte est contestée par Péron (1873) qui donne une nouvelle interprétation (ci-dessous).

En haut : coupe de la Grésigne par Magnan (1869). Le Zeischstein est figuré par la lettre "Z".
En bas : Interprétation de Péron (1873) qui place une faille à la hauteur de "Pech Maurel"

Il faudra attendre les travaux de Fabre (1972) et de Delsahut (1981) pour que l’hypothèse de la présence du Permien supérieur (évaporitique) en Grésigne soit à nouveau évoquée, au niveau des gypses de Merlin.

L’esquisse géologique du Département de l’Aveyron de l’ingénieur des mines Boisse (1870) offre la première  cartographie très fidèle du Jurassique du Quercy central mais sa description stratigraphique est trop synthétique pour qu'il soit possible d'en tirer quelque enseignement. Il divise le Lias en (de bas en haut) :
- Marnes supraliasiques (nos marnes domériennes).
- Calcaire à entroques (notre Barre à Pecten).
- Marnes infra-oolithiques (nos marnes toarciennes).

L’Intendant militaire Péron est affecté à Montauban de 1871 à 1875, après une grave blessure à Sedan pendant la guerre de 1870. Très actif dans le domaine de la Géologie, il participe, à partir de 1873 avec P. et J. Doumerc à l’élaboration de la partie nord de la Carte géologique du Tarn-et-Garonne.
Dans son article « Sur quelques points de la Géologie du Tarn et Garonne » (1873), il reconnait que les observations de Magnan « sont d’une exactitude que nous nous plaisons à signaler » et reprend, sans la modifier, la succession et les attributions stratigraphiques données par son prédécesseur. Cela ne l’empêche pas de constater, avec raison, la confusion des trop nombreuses citations de fossiles cités par Magnan et de critiquer, sans ménagement, et souvent bien injustement, ses observations.
Il constate la rareté, voire l’absence, dans les coupes de Magnan, de fossiles appartenant réellement au Sinémurien et l’explique « par la méconnaissance… de signes irrécusables d’accidents géologiques ».
En paléontologue avisé, il propose le premier un découpage du Lias en zones  (de bas en haut) :
- Liasien : Zone à Terebratula resupinata ; Zone du Belemnites clavatus ; Zone à Ostrea cymbium ; Zone à Pecten aequivalvis.
- Toarcien : Zone de l’Ammonites serpentinum ; Zone de l’Ammonites bifrons ; Niveau des Leda rostralis ; Zone de l’Ostrea sublobata.

Lui-même tombe dans le même travers que Magnan, car il ignore des accidents qui lui font croire, à tort, à la discordance « des couches liasiques sur les grès blancs redressés du Trias ».

Bleicher (1870) reprend les attributions stratigraphiques de Péron et les applique à la région de Figeac.
Il remarque le premier la présence dans le Lias supérieur d'un niveau de schistes noirs à Posidonies (nos Schistes carton). Il correspond, d'après Glangeaud (1895) « au niveau de schistes à Posidonies de l'Aveyron et de la Lozère».

Les travaux de Rey-Lescure sont surtout portés par des intentions économiques, agricoles et hydrologiques. Dans son ouvrage principal, « Esquisse agro-géologique et hydrologique… » (1874), il n’apporte pas de données géologiques très originales. Ce travail, préliminaire au lever de la carte géologique du département, est suivi de deux notices (1875, 1879) dans lesquelles ses conclusions sont identiques à celle de Magnan, émendées par Péron. La carte géologique sera éditée en 1877-78.

Extrait de la carte géologique du département du Tarn et Garonne de Rey-Lescure (1877-1878)

En parallèle, Rey-Lescure s’intéresse au département Tarn dont il présente l’esquisse d’une carte géologique au 1/80000 le 2 avril 1883, à la Société géologique de France. Sa notice explicative sera imprimée à Toulouse à la suite de la session 1887 de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS). Il y applique sans le modifier, le découpage stratigraphique ancien, utilisé depuis Magnan (1869), que lui-même a déjà utilisé dans le Tarn-et-Garonne. Tout au plus, substitut-il le terme d’Infralias à ceux des Rhétien et d’Hettangien qui étaient apparus quelques années plus tôt dans les standards de la stratigraphie.

Mouret (1887) constate, au Nord de Gramat, la grande analogie de la succession liasique avec celle du Bas-Quercy. Le Lias inférieur « ou Infralias » débute par des grès discordants dont il croit voir la discordance sur les grès du Trias. Suivent :
Rhétien : Argiles vertes à débris de plantes renferment la faune de la zone à Avicula contorta ;
Hettangien -Sinémurien : calcaires compacts sublithographiques ou oolithiques modifiés par des « phénomènes d'altération cargneuliforme ».
Charmouthien : Calcaires à bélemnites sans qu'il lui soit possible de préciser en leur sein la limite supérieure du Sinémurien ; Argiles à Belemnites clavatus représentant les zones à Jamesoni, Ibex et Davoei (notre Carixien) ; Marnes à Ostrea cymbium de la zone à Am. margaritatus ; Calcaires à Pecten aequivalvis représentant les couches supérieures de la zone à Margaritatus dont il reconnait le premier le caractère ferrigineux aux alentours de Saint-Céré (notre Membre de Rieusal oolithique).
Toarcien : constitué de quatre niveaux : schistes feuilletés à Am. Holandrei (nos Schistes carton) ; Couche à Am. Serpentinum ; Couche à Am. Bifrons ; argiles sans fossile ; calcaires à Gryphaea beaumonti qu'il situe le premier clairement dans le Lias supérieur sur la base d'ammonites appartenant au « niveau de l'Ammonites opalinum ».

Glangeaud (1895) reprend les attributions stratigraphiques de Mouret et constate la diminution de puissance de l'étage et la disparition totale des marnes du Charmouthien à l'Ouest de Terrasson.

Caraven-Cachin (1898) adopte pour le Jurassique du Quercy, la division tripartite en « infra-, médio-, supra-Jurassique » inspiré du découpage germanique du Jurassique (Lias, Dogger et Malm). Le Lias atteint exactement l’épaisseur de 480 m (sic). Il n’apporte aucune nouveauté et applique strictement le découpage de Magnan et de Péron,
Il fournit d’utiles précisions dans la description des faciès du Lias, ignorant souvent leur succession véritable : « calcaires à Terebratula » ; « calcaires à silex »  ; « marnes et calcaires en rangs de pavé »…

Fournier qui est chargé du lever du Trias et du Jurassique de la carte géologique au 1/80000 de Montauban (1898), de Cahors (1896) et de Gourdon (1898) reprend globalement les attributions stratigraphiques de ses prédécesseurs, en modernisant la terminologie stratigraphique. Ainsi, en 1898, il rapporte :
- Au Rhétien, les « calcaires dolomitiques en plaquettes » qui renferment la faunule que Magnan et Péron plaçaient dans l’Infralias pris au sens de Hettangien.
- A l’Hettangien et au Sinémurien, sans pouvoir les séparer, les assises calcaréo-dolomitiques du « Lias inférieur ».
- Au Charmouthien, le trilogie habituelle, calcaires argileux à Aulacothyris resupinata, marnes à Amaltheus margaritatus et calcaires gréseux roux à Pseudopecten aequivalvis.
- Au Toarcien, les marnes à Harpoceras falciferum, les marnes à Harpoceras radians. Suivant les attributions de Mouret (1887), il y place le calcaire à Gryphaea sublobata, et comme lui, constate l’absence fréquente de ce niveau sous les calcaires du Bajocien.

 

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