Histoire de la Géologie

 

LA MONTAGNE NOIRE, LA FAILLE DE MAZAMET
LE COMPLEXE DES BRECHES "MORTADELLE"

par Philippe Fauré

 

La Montagne Noire se présente comme un bloc dissymétrique de terrains paléozoïques dont le versant méridional, faiblement incliné vers le Sud, plonge sous l’Eocène du Synclinal de Carcassonne et dont le revers septentrional, très abrupt, domine le bassin sédimentaire paléogène du Castrais. Cet abrupt serait marqué par un important accident tectonique, la « Faille de Mazamet ». Simple flexure à l’extrémité occidentale de la Montagne Noire, cette faille devient rapidement une faille inverse dont le rejet s’amplifie vers l’Est, pour atteindre 1200 m de rejet à la hauteur de Mazamet.
Sur le tracé de la faille, s’aligne, en une zone étroite, un ensemble de brèches synsédimentaires hétérogènes désigné sous l‘appellation de « Complexe bréchique mortadelle » et dont l’origine syntectonique n’a pas échappé aux observateurs qui l’ont étudié.

Henri Magnan 1870 nous livre la première description assez fidèle de la Brèche « mortadelle ». Sur le piémont de la Montagne Noire (à Engelis), il « voit reposer sur le calcaire (de Castres) une singulière formation de roches granitiques et gneissiques, quelquefois calcaires… qu’emballent des argiles grumelées, jaunâtres… ayant l’apparence de boues glaciaires ». Il interprète ce dépôt comme une ancienne moraine.

Caraven-Cachin (1898) observe aussi ce faciès dans la région d’Escoussens, mais le croit situé sous le Calcaire de Castres, et appartenir aux Argiles à graviers lutétiennes.

Des « Brèches et conglomérats argileux d’Escoussens » sont pour la première fois cartographiés par Vasseur, sur la feuille de Castres au 1/80 000ème (1896) (ci-dessous). Cette formation se place au contact des terrains primaires de la Montagne Noire et passe latéralement vers le Nord à la Mollasse de Saix et Lautrec dont « elle constitue un faciès côtier ». Il admet son âge Bartonien et remarque que vers le Sud, ces brèches sont transgressives sur le socle primaire. Dans la boutonnière d’Escoussens, il cartographie aussi sous ce même faciès, des brèches qui se révèleront placées sous le Calcaire de Castres.
Il ne trace aucune faille à l’aplomb de la Montagne Noire mais admet que ce massif séparait à l’Eocène « les lagunes du Castrais et de l’Albigeois du bassin sous-pyrénéen » et pouvait représenter un obstacle au transit des fleuves amenant les Poudingues de Palassou.

Les  Brèches et conglomérats argileux d’Escoussens cartographiées par Vasseur, sur la feuille de Castres au 1/80 000ème (1896). A comparer avec la deuxième édition de la feuille (plus bas).

La Montagne Noire et le « Sillon du Thoré »

L’hypothèse qu’une grande faille pouvait être à l’origine de la brutalité du relief de la Montagne Noire est venue des études géomorphologiques. Le jeune géographie David (1924) suggère un « basculement de la montagne vers le Sud qui se relève au Nord, accompagné d’une rupture suivant une dislocation… seule responsable de la coupure du Thoré ». Baulig (1928) ajoute que cette « vallée d’érosion est creusée sur l’emplacement d’un fossé tectonique ».
La Montagne Noire serait née du basculement vers le Sud du massif et d’une rupture, sur son bord nord, suivant une grande faille.

Ellenberger (1938) adopte sans réserve l’hypothèse d’une « grande faille, longue de 60 km, limitant tout le versant Nord de la montagne », qu’il nomme « Faille de Mazamet ».
Le contact se ferait selon un plan fortement incliné, « un rentrant se dessine… près d’Aiguefonde. Le plan de faille serait donc incliné vers le Sud ; la faille serait de caractère inverse ». Pour preuve, la présence d’une brèche tectonique à proximité de la faille dans le secteur d’Aussillon (figure ci-dessous).
La Montagne Noire apparaît ainsi comme « une vaste écaille, un petit pli de fond extrêmement typique dont le front développé en arc est rompu à la base en une grande faille dominant un bassin de sédimentation ».


Le pli de fond de la Montagne Noire d'après Ellemberger 1938


Il constate par ailleurs que les Calcaires de Castres ne sont pas affectés par la proximité de la faille, indiquant, pendant leur dépôt, une « période de tranquillité tectonique ». Les « Arkoses bartoniennes » (= la Brèche mortadelle)  lui suggèrent un jeu synsédimentaire de la faille et la première individualisation, à cette époque, du relief du pli de fond. Celui-ci se serait « accentué par à-coups, durant le Ludien et l’Oligocène, jusqu’au paroxysme aquitanien qui inaugure le cycle d’érosion dont les traces dans la région faitière de la montagne sont bien repérées par la géomorphologie ».


Le contact "peu tectonisé" entre le Calcaire de Castres et le Paléozoïque de la Montagne Noire, au Sud d'Aiguefonde, d'après Ellenberger, 1938


Ramière de Fortanier (1932) effectue une nouvelle délimitation des argiles rouges et découvre que les « Argiles de Mazamet » se poursuivent, à l’Est de Mazamet, jusqu’au méridien de Lacabarède. Il en conclut que la vallée du Thoré est un fossé tectonique anté-tertiaire qu’une « faille limiterait sur le bord septentrional de la Montagne Noire » et la nomme « Faille du Thoré ».
Cette faille s’interromprait à l’Est de Lacabarède : « Ce n’est pas une ligne tectonique majeure ».

La deuxième édition de la carte géologique de Castres au 1/80 000ème (Gèze et Mattei, 1954) reprend les hypothèses de Ellenberger et, sans changer les contours de Vasseur (1896), trace une faille inverse continue, épousant méthodiquement tous les rentrants du versant nord de la Montagne Noire avec « un chevauchement lui-même semblant atteindre 1 à 2 kilomètres ». La faille de Mazamet, relayée par la Faille de l’Espinouse et la Faille de Bédarieux, peut se suivre sur 125 km.

 Les Brèches et conglomérats argileux d’Escoussens (en jaune à points rouges) arrivent au Sud au contact d'une faille de Mazamet dessinée en faille inverse.
Extrait de la deuxième édition de carte géologique au 1/80000è de Castres (1954)

Mengaud (1945), qui analyse Le sondage du Bernazobre commandité par la société des Mines de Carmaux, constate que l’épaisseur des Argiles à Graviers tertiaires atteint 229 m à l’Ouest de Castres (entre Saix et Soual). Une telle épaisseur « dénote (l'existence) d’une zone de subsidence qui prolonge le Sillon du Thoré  tel qu’il est orienté (SE-NW) entre Saint-Amans et Labruguière… ». Le « fossé tectonique » du Thoré pourrait se prolonger à l’Ouest  « par la vallée de l’Agout en aval de Vielmur, la vallée du Tarn,…  et finalement le cours inférieur de la Garonne (fossé nord-Aquitain) ».

Ce schéma ne sera pas remis en cause par toutes les données de sondages accumulées depuis, qui toutes montrent que, du Lutétien au Bartonien, le bassin du Castrais s’allonge dans un sens Est-Ouest, avec un maximum de subsidence en avant du relief de la Montagne Noire, dans le prolongement occidental de la vallée du Thoré.

Pour Demange et Jamet (1986), il n’est pas douteux que la « Faille de Mazamet-Tantajo » puisse être un décrochement ancien, affectant tout le bâti hercynien. L’âge et le rejet de ce décrochement sont plus difficiles à préciser, vraisemblablement postérieurs aux phases tectoniques souples viséennes de la Montagne Noire. Il n’affecte ni le Trias, ni le Jurassique du Bassin de Bédarieux. La faille apparaît ainsi comme un accident tardi-hercynien dont l’étude et la comparaison des formations paléozoïques de la Montagne Noire et du Massif de l’Agout, indiqueraient un jeu décrochant dextre et une amplitude d'une vingtaine de kilomètres. La faille serait ensuite mobilisée au Pyrénéen en faille inverse.

Tous les auteurs admettent ainsi que l’abrupt de la Montagne Noire est un escarpement de faille. La relation entre cette faille et les Brèches et conglomérats d’Escoussens devenait évidente. Préciser l’âge des seconds revenait à dater les mouvements de la première. 

La Faille de Mazamet et le Complexe bréchique « mortadelle »

Pour le géographe lillois Baeckeroot, « l’accident-limite de la Montagne Noire » se traduit au contraire par une « tectonique cassante caractérisée par des failles normales, disposées en décrochement » qui « expliquent le caractère très disloqué (et très karstifié) du Causse couvert (de Lacalm) situé à l’aplomb de la Montagne Noire ». Il considère que le sillon du Thoré est une « fosse de subsidence… créant un appel au vide vers l’Ouest ».
Les formations bréchiques situées en contact avec le socle, indiquées comme éocènes par Ellenberger, appartiendraient, pour lui en réalité à un piémont quaternaire « vestige d’un piémont ancien, composite anté- et post-Lutétien, beaucoup plus puissant issu de la Montagne Noire et du Massif de l’Agout » (1953b).
Les brèches qui, à Escoussens, surmontent les Calcaires de Castres (Brèches « mortadelle ») seraient également récentes et issues du remaniement des brèches lutétiennes sous-jacentes (Argiles à graviers) (1948, 1952).

Dans la continuité de Baeckeroot, Birot et al. (1968) notent bien que les brèches de Vasseur surmontent en discordance le Calcaire de Castres et les corps sédimentaires molassiques qui lui sont sus-jacents, ce qui les amène à interpréter cette brèche comme un faciès cryoclastique quaternaire. Cette interprétation est confirmée « de façon éclatante » par l’analyse palynologique et la découverte d’une « flore nettement quaternaire, probablement du Mindel ou du Riss ».
Contrairement à ce qui est souvent écrit, le terme de « Brèche mortadelle » n’a pas été introduit par Vasseur, mais bien par Birot et al. (1968) qui la comparent à une brèche quaternaire des Abruzzes décrite par Demangeot : « brèche à éléments noyés dans une pâte rosée, tels les lardons dans une mortadelle ».

Le terme de « Brèche mortadelle »
est consacré par la notice de la carte de Mazamet au 1/50 000 (Debat et al, 1979) qui reprend, sans les modifier, les conclusions de Birot et al. (1968). Des manifestations néotectoniques tangentielles y sont observées par les auteurs « responsables d’une surrection de la Montagne Noire après le Quaternaire ancien… à la limite du Mindel et du Riss ».

Sur la feuille de Mazamet au 1/50000e (1979), la « Brèche mortadelle », rissienne ou mindélienne (Egp, blanc pointillés verts) repose discordante sur le Paléozoïque ou entre en contact anormal avec lui. Elle est aussi discordante sur le Calcaire d'Escoussens et les Molasses bartoniennes.

Dans sa thèse, Mouline (1989), pourtant cosignataire de l’article de 1968, revient sur cette attribution au Quaternaire et, abandonnant le terme de « Brèche mortadelle », redéfinit la formation des « Grès et brèches d’Escoussens », comme le premier ensemble de sa série bartonienne.
Ces brèches particulièrement bien représentées entre Dourgne, Escoussens et Saint-Ferréol, reposent sur le Calcaire de Castres et passent progressivement vers le haut au « Complexe molassique d’En Calcat ». Elles témoignent, au Bartonien, « d’un début d’activité épirogénique de la zone où se placera la faille septentrionale de la Montagne Noire ». Il estime que la Paléo-Montagne Noire pourrait jouer un rôle de relief au Lutétien entre Escoussens et Sorèze, où elle entraine la réduction des Calcaires de Castres. Au Bartonien inférieur « des reliefs sans doute assez vifs sont entourés de piémonts aux matériaux esquilleux d’origine thermoclastique… transportés d’une manière brutale et discontinue… sous climat contrasté ». Cette activité s’estomperait à partir du Bartonien supérieur.

Sur la feuille de Revel au 1/50 000ème (1997), le « Complexe bréchique « Mortadelle » (E6Br) fossilise la faille de Mazamet et repose en discordance sur le Paléozoïque de la Montagne noire.


Dans la notice de la feuille de Revel au 1/50 000ème, Mouline (in Demange et al, 1997), revient sur la répartition du « Complexe bréchique « Mortadelle ». Cet ensemble « apparaît dans un affleurement étroit qui moule le tracé de la Faille de Mazamet, la masque, sans être affecté par elle, la déborde et s’étale en discordance directe sur le Paléozoïque ». Elle est fréquemment affectée de failles inverses satellites au rejet décamétrique, tout au plus.
L’allure des dépôts et leur répartition suggèrent une étroite relation avec les rejeux pyrénéens de la Faille de Mazamet et permettent de les considérer comme une formation syn- à tardi- tectonique.

Latéralement, les brèches passent, à l’Ouest, aux Grès d’Issel et, au Nord, aux Molasses d’En Calcat, ce qui leur donne précisément un âge Bartonien inférieur (Demange et al., 1997).
D’après les données de sondages, il semble aussi que l’essentiel du jeu pyrénéen de la Faille de Mazamet soit absorbé par les Molasses d’En Calcat  (= Grès d’Issel) d’âge Bartonien inférieur, la faille n’affectant pas la sédimentation des Calcaires de Saint-Paulet (Ludien).
Cet âge s’accorde avec celui admis régionalement pour la phase principale de déformation pyrénéenne.

Ces constatations vont à l’encontre des hypothèses de Crochet (1991, p. 97, fig. 77HT) qui montre, dans un chapitre peu connu de sa thèse, que, dans le prolongement occidental de la bordure nord de la Montagne Noire, la cuesta ludienne est décalée de 5 km vers le Nord-Est par une faille (Faille de la Ginelle) dont le décrochement est fossilisé par l’Oligocène discordant. Cette hypothèse n’est pas vérifiée sur le terrain.

La Faille de Ginelle prolonge à l'Ouest la Faille de Mazamet et décale la Crête ludienne,
d'après Crochet, 1991, fig. 77Ht)


La révision (inédite) de la carte géologique de Mazamet au 1/50 000ème
est l’occasion pour Demange (2014) de vérifier certains points de la cartographie du Complexe bréchique « Mortadelle ». Ainsi, si la formation est bien concordante sur les Calcaires de Castres (à Escoussens), à l’Est, elle fossilise plusieurs accidents et repose fréquemment en discordance sur le Paléozoïque.

Elle scelle donc clairement le jeu pyrénéen de la Faille de Mazamet.


Cartographie du secteur d'Escoussens sur la révision de la carte géologique de Mazamet au 1/50 000èmeDemange (2014, inédit). Comparer avec la carte de Débat et al. (1979) (plus haut)


Le toit des brèches tertiaires est le plus souvent masqué par des éboulis cryoclastiques et des colluvions subactuelles qui expliquent vraisemblablement l’âge quaternaire avancé sur la foi de microflores (Birot et al. 1968 ; Debat et al., 1979). Dans sa discussion, Demange ajoute que « une telle datation (au Quaternaire) aurait impliqué un rejeu considérable récent (Mindel-Riss) de l’accident de Mazamet, qui s’il est possible, doit être ramené à des proportions plus modestes ».  L’étude géomorphologique des terrains quaternaires du piémont de la Montagne Noire montre l’absence de toute déformation récente et l’étagement des surfaces d’aplanissement et des terrasses relève plus de phénomènes climatiques que d’une néotectonique.  Un rejeu important récent, plio-quaternaire, de la faille de Mazamet semble très improbable.

De fait, malgré ses 1200 m, environ, de rejet à la hauteur de Mazamet, le versant nord de la Montagne Noire est actuellement une zone à séismicité très faible à nulle (risque 1).

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