Histoire de la Géologie

HISTOIRE DE L'IDENTIFICATION DU LUDIEN (EOCENE SUPERIEUR) DANS LE TARN

par Philippe Fauré

 


Définition du Ludien

Le terme de Ludien est introduit par Munier-Chalmas et de Lapparent en 1893 pour désigner l’Eocène supérieur, parallèlement au terme de Priabonien, équivalent méditerranéen du même étage. Si le second des deux termes s’est imposé dans l’étalonnage des séries marines, l’emploi du premier est resté valable pour qualifier les dépôts continentaux caractérisés par des mammifères. Nous l’utilisons avec cette acception dans le domaine continental est-aquitaine.

Succédant au Bartonien molassique, les sédiments du Ludien est-aquitains forment un relief de cuesta étiré, entre l’Aude et le Tarn, sur plus de 100 km. Ce relief, que Ch. Jacob nommait la « Crête ludienne », est permis par la présence dans ces formations de plusieurs niveaux carbonatés. Il peut se suivre depuis les environs de Mirepoix (Hounoux, Mireval-Lauragais) et de Castelnaudary (Mas-Sainte-Puelles, Villeneuve-la-Comptal), jusqu’au Seuil de Naurouze qu’il franchit pour se poursuivre dans le Tarn en direction de Saint-Félix-de-Lauragais, Puylaurens, Damiatte, Lautrec, Réalmont, Dénat et Puygouzon où les formations ludiennes disparaissent à la latitude de la rivière Tarn, pour passer latéralement à des argiles à graviers.

Le Ludien dans le Tarn. Un historique

Les formations actuellement attribuées au Ludien dans le Tarn ne sont longtemps pas distinguées des autres formations molassiques paléogènes du Castrais et de l’Albigeois. Rappelons que celles-ci sont successivement attribuées en totalité au Tertiaire moyen ou Miocène par Dufrenoy et Elie de Beaumont (1841), à l’Eocène par de Boucheporn (1848), puis à l’Eocène supérieur par Noulet (1854, 1858). Celui-ci regroupe, notamment, l’ensemble des molasses formées par les Sables du Castrais dans une unique « zone à Lophiodon lautricense et Paleotherium » qu’il estime équivalente à celle de Villeneuve-la-Comptal, dans l’Aude, qu’il parallélise avec les couches de Montmartre à gypse du Bassin Parisien (Noulet, 1858).
Il échoue à trouver une limite supérieure à son Eocène supérieur et sa découverte de Paloplotherium (= Plagiolophus) annectens dans les molasses des environs de Briatexte le conforte dans une conception élargie de l’Eocène, étendue à l’ensemble des molasses du Gaillacois.
Les découvertes, pourtant décisives, de Thomas (1867) dans des grès de Montans, ne modifieront pas ce schéma.

Etage Ludien

Gervais avait pourtant bien remarqué, dès 1867, la superposition, dans l’Aude, de deux niveaux : le niveau d’Issel, plus ancien, caractérisé par la présence des Lophiodons, qu’il place dans l’Eocène moyen (au niveau du « Calcaire grossier supérieur » du Bassin parisien) et celui de Villeneuve-la-Comptal, plus récent, renfermant une majorité de Paléothérium, qu’il rapporte à l’Eocène supérieur (au niveau du « Gypse de Montmartre »).

Vasseur et ses collaborateurs Répelin et Blayac, qui ont entrepris la cartographie au 1/80000ème de l’Aquitaine confirmeront l’intuition de Gervais.
Dès 1893, ils placent :
- Dans l’Eocène moyen, les Molasses du Castrais et leur « faune de Lophiodons et de Paleotherium, en équivalence des Calcaires de Saint-Ouen du Bassin parisien » ;
- Dans l’Eocène supérieur, en équivalent des « Gypses de Paris », les Molasses de Blan et les Calcaires du Mas-Saintes-Puelles et de Villeneuve-la Comptal, qu’ils suivent jusqu’à Saint-Paul-Cap-de-Joux (= Calcaires de Damiatte) « qui constituent le dernier terme de la série éocène ».
Dans son schéma de 1893, les Calcaires de Cuq-Ronel « se placent approximativement à la limite de l’Eocène moyen et de l’Eocène supérieur ».
En 1894, il repousse les Calcaires de Damiatte dans l’Oligocène (Sannoisien) mais se ravise en 1896 sur la notice de la feuille de Castres au 1/80 000 car « ils renferment Palaeotherium » dans le Tarn et confirme leur équivalence avec les Calcaires de Villeneuve-la-Comptal dont la faune mammalogique est « caractérise le gypse supérieur de Montmartre du bassin parisien ».
Pour cette période, le terme de Ludien sera introduit et appliqué aux molasses du Tarn pour la première fois en 1899 par Vasseur et Blayac

Blayac donne la première synthèse de ce schéma en 1930 (reproduit ci-dessous) pour le centenaire de la Société Géologique de France. Les dépôts du Ludien y sont placés en équivalence de la partie inférieure des Molasses du Fronsadais.


Avec les travaux de Astre apparaitront les premières preuves paléontologiques de l’existence du Ludien dans le Tarn.
En 1924, il attribut au Ludien un fragment de mâchoire de Xiphodon gracile trouvé à la Guittardié, près de Laboutarié. Il place ensuite dans cet étage la riche faune mammalogique livrée par la briqueterie de Pont-d’Assou, près de Lavaur (Astre, 1929, 1934).

Un Ludien inférieur et un Ludien supérieur

En 1933, Astre précise que l’on doit bien distinguer, dans l’Aude, un Ludien « inférieur », caractérisé dans le Calcaire de Mireval-Lauragais par des vertébrés identiques à ceux de la faune d’Euzet, dans le Gard, d’un Ludien « supérieur » particulièrement bien exprimé dans la riche faune de Villeneuve-la-Comptal et de Mas-Saintes-Puelles, qui représente le seul « Gypse de Montmartre ». Le niveau de la briqueterie de Pont-d’Assou se rapporte à ce niveau, dans le Tarn (Astre, 1934).

Dans son inventaire de l’ensemble des faunes mammalogiques du Bassin d’Aquitaine, Richard (1946) confirme que « la faune ludienne s’y subdivise en deux niveaux ». Dans le Tarn, elle ne modifie pas le schéma de Vasseur en trois assises lithologiques superposées (carte géologique de Castres, 1896) :
- Ludien « inférieur » : le Calcaire de Cuq et de Vielmur » (et de Ronel), « par son équivalence latérale avec les Calcaires de Mireval, dans l’Aude ».
- Ludien « supérieur » : les Molasses de Blan et le Calcaires de Damiatte.

Les couches sus-jacentes (Molasses de Puylaurens, Calcaire d’Albi) sont attribuées à l’Oligocène et placées dans l’étage Sannoisien.

Ce schéma stratigraphique est repris sans changement par Castéras (1956) et par Astre (1959).

Carrière de Gédoul, à Ronel. Le Calcaire de Ronel y est activement exploité pour la chaux. Noter la rubéfaction de la partie inférieure de la Molasse de Blan qui le surmonte selon une surface plane.

Biozones MP 17 à 20

Les datations en milieu continental bénéficient depuis les années 80 des progrès de la biochronologie permise, notamment, par la paléontologie des micro-mammifères. Leur succession est désormais corrélée avec l’échelle chrostratigraphique MP (pour Mammifères Paléogène) adoptée en 1986 au Symposium de Mayence.

L’étage Ludien y est subdivisé en quatre biozones, de MP 17 à MP 20.

Sudre et al. (1992) seront les premiers à corréler avec certains niveaux fossilifères de l’Aude (niveau de Mas-Saintes-Puelles à MP 19 ; niveau de Villeneuve-la-Comptal à MP 20) et du Tarn (gisement de la Guittardié à MP 18, niveau de Pont-d’Assou à MP 18-19).
Le gisement du Batut (Calcaire de Varen), est classé MP 19 par Cavelier et Muratet (1992), mais sa position stratigraphique reste ambiguë par rapport aux molasses de l’Albigeois.

Ainsi, l’étage Ludien (= Priabonien, Eocène supérieur) est dans le Tarn représenté par quatre formations successives :
1 - Calcaires de Cuq et Vielmur - Ronel, correspondant à la Biozone MP 17 vraisemblable
2 - Molasses de Blan, riches en vertébrés de la Biozone MP 18,
3 - Calcaire de Damiatte Marssac - Saussenac - Varen qui ont localement foruni des vertébrés de la Biozone MP 19,
4 - Molasse de Puylaurens (sensu Mouline), ayant fourni la faune de Pont-d’Assou des Biozones MP 18 à MP 19.

 

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