Bertrand de Boucheporn, ingénieur, géologue (1811 - 1857)
Ingénieur de l’école polytechnique (promotion 1831) de Boucheporn appartenait à la noblesse lorraine. Fils de Louis, baron de l’Empire, grand maréchal de la cour éphémère de Jérôme (Bonaparte) roi de Westphalie. Devenu ingénieur au corps des Mines, il fut affecté à Albi où il s’illustre par la réalisation entre 1837 et 1839 de la première carte géologique du Tarn, en même temps que de celle de la Corrèze.
Dans une « Explication » préliminaire publiée en 1848, il énonce ses idées sur la classification des roches et sur la formation du globe (il l’avait déjà fait en 1844 dans ses « Etudes sur l’Histoire de la Terre »). Tout en acceptant les 12 « révolutions » successives et le « système de soulèvement » énoncés par Elie de Beaumont dans son célèbre essai de 1829 ; il ose l’affronter dans son explication des chaines de montagne. Boucheporn est, en effet, convaincu que « le refroidissement progressif et presque insensible du globe ne saurait être une cause assez puissante et assez variés dans ses effets pour être invoquée comme le principe fondamental su soulèvement et des grandes révolutions terrestres ».
Il développera encore ses idées dans « Du principe général de la Philosophie naturelle » (1853), puis dans « Etudes sur l’Histoire de la Terre et sur les causes des révolutions de la surface » (1861). Dans cet ouvrage, Boucheporn avance l’idée que les transformations du monde vivant animal et végétal et les grandes modifications de géologie de la surface de la Terre sont liées et synchrones, et ne peuvent s’expliquer que par des cataclysmes périodiques majeurs, dont l’intensité est telle qu’ils ne peuvent trouver leur explication que dans des causes extérieure à la Terre, comme par exemple, des chocs de comètes. Ces collisions seraient à l’origine de perturbations brutales du sens de la rotation de la terre,… Il est un des pionnier du transformisme catastrophiste que, 130 ans plus tard, Gould et Eldredge, en énonçant leur théorie des “équilibres ponctués” ne démentiront pas.
La carrière de cet ingénieur se poursuivra à Alès où il est affecté en 1846, puis à Bordeaux. Une mission l’amènera en 1850 à Panama, pour l’évaluation d’une jonction ferroviaire entre Pacifique et golfe du Mexique préfigurant le canal de Panama. Atteint par les fièvres, il décèdera peu de temps après à Bordeaux.
Il réalise, entre 1837 et 1839, la première carte géologique du Tarn sur le fond de Cassini sur laquelle apparait la répartition des grandes formations géologique du Tarn. Cette carte révèle pour la première fois l’opposition entre les « terrains primitifs » et « de transition » de la montagne et le pays des « Mollasses » tertiaires, « les formations des époques intermédiaires, telles que le terrain houiller, le grès bigarré, le calcaire jurassique, n’apparaissent que… sur de petits espaces ». Cette carte est accompagnée de coupes verticales, afin de montrer les rapports géométriques entre les formations qu’il distingue. Il figure ainsi pour la première fois l’anticlinal à cœur de « grès schisteux rouge » (Permien) de la Grésigne situé à la pointe sud du Quercy. Dans « l’Explication de la carte… » datée de 1848, il expose un premier résumé de la géologie du Tarn. Mais pour Bergeron ( 1889, p. 7), « L’auteur s’est moins préoccupé d’exposer les faits que ses idées théoriques ».
Sa conception du « terrain primitif », reste cependant encore valable. « Le granit (est) le premier recouvrement solide de la surface du globe ». Les « terrains cristallins », qui se moulent autour résulteraient pour lui de la sédimentation « dans l’eau » de débris arrachés aux granites « et auraient ensuite acquis leur structure par échauffement (= métamorphisme) ». Au « Terrain de transition », Boucheporn attribut les « schistes argileux et marbres » de la montagne albigeoise et castraise qui correspond « sans doute au Cambrien et Silurien des Anglais ». Cette affectation d’âge reste toujours valable.
Il s’étend longuement sur les « terrains de grès anciens » ou terrains houillers. En particulier sur le Bassin de « Carmeaux » dont il reconnaît qu’il est partiellement masqué par les terrains tertiaires au Sud de la valle du Cérou, et dont il identifie l’orientation Nord-Sud. Il y relève 5 couches de houille, pour une épaisseur cumulée de charbon de 10 à 12 m et évalue les réserves du bassin à « … au moins 5 à 6 siècles… » (au rythme de 100.000 tonnes par an vers 1865. Ces grès réapparaissent près de Réalmont où ils ont donné lieu à des recherches de Houille « mais sans résultat ». Ils lui semblent « supérieurs au véritable terrain houiller et doivent appartenir en partie au Grès rouge… », ce qui se révéla partiellement exact, l’essentiel du bassin de Réalmont étant constitué de grès d’âge, non carbonifères, mais autuniens.
Il constate justement combien il est difficile de distinguer du « Houiller » les deux formations plus récentes : d’abord le « Grès rouge » (= Permien), ensuite le « Grès bigarré » (= Trias continental), qu’il regroupe dans une même formation faute d’avoir pu observer « la vraie base des terrains secondaires … qui correspond à un changement complet des faunes et flores ». Il observe des poudingues, analogues à ceux du « Grès des Vosges », et surtout des « grès schisteux rouges » dont il constate que le large affleurement dans la Forêt de la Grésigne « s’élève en masse au dessus des terrains environnants et semble former comme une grande pyramide de terrains rouges.. » et envisage pour cette structure une « double compression horizontale (donnant) l’idée d’un refoulement des couches ». Il renferme du gypse dans la région de Marnave.
Le terrain du « Calcaire jurassique » occupe la pointe du Quercy. Ils débute pour Boucheporn par des « grès siliceux blancs » (actuel Trias) dont il l’affirme justement, qu’il n’est pas impossible « que les couches… appartiennent encore à la formation du Grès bigarré » sous-jacent. Au « Lias » il attribut une « épaisseur considérable… de calcaire cloisonné » (= actuel étage Hettangien) au sommet duquel il trouve des ammonites et térébratules près de Puycelci (= actuel Pliensbachien). Dans les « marnes du Lias », il signale plusieurs fossiles caractéristiques du Domérien (des peignes « aequivalvis ») et du Toarcien (ammonites « walcotii »). Dans les calcaires qui suivent autour de la Grésigne, la carte sépare « l’Oolite » dont les calcaires ne lui fournissent aucun fossile. Les anfractuosités de surface du calcaire renferment un « minerai de fer en grains », englobé dans une argile sablonneuse, que l’on exploite près de Puycelsi (actuel Sidérolithique) : « Leur âge représente probablement la série des terrains crétacé dans le Tarn ».
Les calcaires de « l’Oolite » lui inspirent une réflexion dont la portée dépasse le seul cadre du Jurassique. Il note que des cavités renferment des ossements brisés et des silex taillés « qui ont exigés la main intelligente de l’Homme, et elles concourent donc… à prouver l’existence de la race humaine antérieurement aux derniers cataclysmes qui ont pu modifier le sol de nos contrées ». Cette réflexion est particulièrement novatrice dans les années 1830. Il n’en tire cependant aucun développement.
Les terrains du « Tertiaire » occupent la partie centrale et l’amphithéâtre albigeois. « Les grès et les sables prédominent sur le pourtour du bassin et dans le voisinage des montagnes… souvent mi-parti d’argile et de grains quartzeux », ce qui est la première observation des Argiles à Graviers de l’Albigeois, première formation tertiaire diachrone et discordante sur le Paléozoïque. Boucheporn divise le Tertiaire en deux « étages » : Les « mollasses » et les « alluvions »
- Les « mollasses » sont faites de « marnes, sables et grès à ciment calcaire » et de « calcaires d’eau douce ». Pour des raisons géométriques, il les rapporte, dans leur totalité, au « Tertiaire inférieur », c’est-à-dire à l’Eocène et s’oppose clairement à Dufrenoy qui n’y voit que « l’étage moyen » du Tertiaire (Oligocène et Miocène). Nous savons maintenant que tous deux avaient raison, ces roches correspondant à l’ensemble Eocène moyen – supérieur et surtout Oligocène.
Il revient aussi sur les « Pisolithes » du Lutétien d’eau douce de Castres décrits par Pierre Borel deux siècles plus tôt, « … concrétions dont les couches calcaires sont absolument pétries… » et en donne une première explication « on ne saurait les attribuer qu’à des débris de végétaux, branches ou fruit, qui auront servi de noyau d’incrustation dans des eaux calcaires ».
Dans le Sud du département, il est le premier à indiquer, sur sa carte,
les argiles rouge du sillon du Thoré jusqu’à Saint-Amans.
- Les « alluvions » : son analyse de la répartition des nappes de « galets roulés et des bancs d’alluvion » le conduit à une interprétation singulière des affleurements : « pour un observateur attentif et impartial, la couche des plateaux (en fait conglomérats oligocènes intercalés dans la mollasse tertiaire), celle des étages moyens (alluvions quaternaires des hautes terrasses), celle de la plaine (basse terrasse) sont exactement identiques (ce qui, sur le plan du seul faciès de la roche, est vrai) : ce sont différents lambeaux d’une même nappe d’alluvion, occupant autrefois le niveau le plus élevé, mais abaissée maintenant en divers points par les grands affaissements qui ont produit les vallées et les plaines basses. » Rejetant l’idée d’un « Diluvium récent », Boucheporn va attribuer cette « couche de cailloux roulés » au « Second étage tertiaire », celui des « Grès de Fontainebleau », type actuel de l’Oligocène du bassin parisien ! Ces « cailloux roulés » résulteraient de la destruction du relief des Pyrénées, sous forme d’une immense nappe caillouteuse, due à des « courants diluviens », et aurait ennoyé la totalité du pays mollassique. Que l’on rencontre des « cailloux roulés » à des altitudes de plus en plus basses près des rivières, s’expliquerait, selon Boucheporn, par des jeux de fractures entre les paliers successifs, disposés à la manière de touches de piano. En effet, pour lui, les vallées, que « l’ancienne géologie considérait comme l’ouvrage des eaux seules » seraient localisées le long des lignes de failles. Très satisfait de son hypothèse, il ajoute : « Nous croyons être le premier qui ayons essayé une explication rationnelle et pour ainsi dire géométrique du mécanisme de la formation des vallées de fracture … ».
« Le poudingue d’alluvion sur la pente de la Grésigne » (actuels Conglomérats de la Grésigne) représente un cas particulier. Formé de galets d’origine locale (calcaires jurassiques et grès), il occuperait un « ancien fond de vallée » formé lors du « mouvement des Pyrénées ». Boucheporn est conduit, du même coup, à placer ce poudingue au-dessus de la molasse voisine, ce qui a depuis été longtemps débattu et s’avère partiellement vrai. De façon prémonitoire, il « sent, au reste, combien ce sujet est délicat et d’une induction difficile ».
Sources :
Durand-Delga M. ce site
Laugel. René-Charles-Félix Bertrand de Boucheporn. Livre centenaire de l’école polytechnique, tome III, p. 151 ;
Durand-Delga M. (2003). Prémices et développement de la connaissance géologique de l’Albigeois du XVIIe à la fin du XIXe siècle. Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres du Tarn. N° LVII, p. 396-429.
Durand-Delga M. (2004). Géologie et géologues du Bassin d’Aquitaine.
PHF