Personnalités isolées en leur siècle, Pierre Borrel au 17e, Antoine de Gensanne au 18e, François de Boucheporn puis Alfred Caraven-Cachin au 19e, donnèrent successivement, les deux plus anciens en touches discrètes, leurs visions de l’Albigeois. Voici cent ans, Bergeron pour les terrains anciens, Vasseur pour la Molasse tertiaire, parmi d’autres, amenèrent la géologie du Tarn à un niveau national.
Vers le milieu du 20e siècle, deux figures exceptionnelles ont fait faire des avancées capitales à la connaissance. Récemment disparus, François Ellenberger (1915 – 2000) et Bernard Gèze (1913 – 1996) ont été, dans des voies séparées, deux fidèles collègues et néanmoins des amis.
Leurs origines divergeaient : le premier, normalien, le second agronome. L’un et l’autre présidèrent un temps la Société géologique de France.
L’un et l’autre possédaient des liens avec le Tarn : la mère de Gèze, gaillacoise, lui légua le domaine du Sabatayrenc (Terssac) ; Ellenberger, fils d’une mère réformée cévenole, passa sa jeunesse à courir de Montauban à la région de Mazamet, pour des raisons familiales.
L’un et l’autre occupèrent des postes d’enseignement importants, Ellenberger à l’université de Paris-Orsay, Gèze à l’Institut National Agronomique.
L’un et l’autre ont atteint la notoriété internationale : Gèze en divers domaines, Tectonique, Volcanologie,etc., Ellenberger dans la structure des Alpes au Languedoc, voire l’étude des premiers dinosaures d’Afrique du Sud ! Et, si Gèze était devenu un augure en spéléologie karstique, Ellenberger couronna son œuvre de terrain par sa plongée dans l’Histoire de la géologie, objet d’un ouvrage du même nom, traduit en plusieurs langues et qui a fait connaître son nom sur tous les continents. Seule différence notable entre eux : alors que Gèze présida divers comités et commissions, à l’échelle nationale ou internationale, Ellenberger ne cessa de protéger sa sourcilleuse indépendance.
La géologie du Tarn doit beaucoup à ces deux hommes. Sur la structure de la Grésigne, les publications du jeune Ellenberger sont toujours valables. Tout jeune, il décrivit la « faille de Mazamet », qui limite au Nord les reliefs de la Montagne Noire. Plus tard, il anima des groupes qui attaquèrent la Zone axiale et l’extrémité orientale de cet important rameau hercynien.
L’étude hydrogéologique du Quercy-Grésigne de Gèze reste inégalée. Cependant l’œuvre essentielle de celui-ci reste la Montagne Noire, où sa définition des grandes nappes hercyniennes en série renversée reste « un classique ». Il nous a laissé, avec le guide géologique régional « Aquitaine orientale » de la collection Masson, une excellente description du pays entre Grésigne et Montagne Noire.
Ellenberger et Gèze, puissantes personnalités, ont marqué dans la science française. Au milieu de la pléiade de géologues qui, au cours de la seconde moitié du 20e siècle, ont fait avancer la connaissance du sol tarnais, leur nom mérite d’être spécialement honoré.
En ce début du troisième millénaire, nous sommes arrivés à un palier de la connaissance géologique. Dans notre petite région, la recherche « de terrain » se rapproche de ses limites : sauf sans doute dans la compréhension des structures de la chaîne hercynienne, du Rouergue à la Montagne Noire. L’outil géophysique devrait nous permettre un jour d’interpréter les parties profondes de la croûte continentale, mais à une échelle dépassant largement le cadre de l’Albigeois. Nous changeons d’époque !