Les premières notes de géologie écrites par ces deux érudits originaires de la région parurent entre 1863 et 1875.
Paul-Antoine Rey-Lescure (1830 – 1896), avocat et receveur de l’Enregistrement, appartenait à une famille bourgeoise calviniste de Montauban.
Alfred Caraven-Cachin (1839 – 1903), lui, était catholique et fils d’un commerçant castrais. Sa mère, Zélie Vaissière, qu’Alfred qualifie de « femme de lettres », était petite-fille d’une sœur du baron Joseph Cachin, dont la famille avait été protégée par Mgr de Barral, évêque de Castres. Contrairement à ce qui a été écrit (Durand-Delga, in « Les Tarnais », 1996, p.69), Alfred Caraven – qui ajouta après 1866 le nom de Cachin au sien propre – était donc bien arrière-petit-neveu, par sa mère, du célèbre ingénieur.
On aurait pu s’imaginer que le montalbanais Rey-Lescure se serait consacré au Tarn-et-Garonne et que le castrais Caraven-Cachin se serait réservé le Tarn. Il n’en fut rien, et chacun des deux hommes prit l’ensemble. Ils semblent s’être superbement ignorés. Leur but essentiel semble avoir été d’établir, l’un comme l’autre, une nouvelle carte géologique afin de remplacer, pour le Tarn, le document vieilli de Boucheporn. Un nouveau fond topographique venait en effet d’être établi en France par les officiers d’Etat-Major de l’armée. Les géologues du nouveau Service de la Carte géologique s’étaient mis au travail dans le bassin de Paris, et nos deux compères furent tentés d’en faire de même dans notre région.
Rey-Lescure réalisa ainsi dès « 1877 – 1878 » (selon Caraven-Cachin) une carte géologique en couleur du Tarn-et-Garonne, la notice explicative étant publiée en 1879 dans le bulletin de la Société d’Histoire Naturelle de Toulouse. Parallèlement, il avait commencé à s’intéresser vers 1872 au Tarn où, écrit-il, « m’appellent à la fois des intérêts et des affections » (il s’y était marié avec une demoiselle Sers). Le 2 avril 1883, il présente à la Société géologique de France (Bulletin, p. 371-384) une esquisse d’une carte au 80.000e du Tarn. Un texte détaillé, véritable notice explicative, accompagne la présentation : cette initiative aurait reçu « une vive recommandation de la part du Conseil général du Tarn ». En 1886, Rey-Lescure montre la carte, terminée, à Paris, devant la même société. Il revendique son antériorité en précisant que sa carte et les coupes correspondantes ont été « publiquement exposées et décrites […] dès 1882-83-84, antérieurement à l’apparition celle [= la carte] de M.Caraven-Cachin » ! La notice explicative, signée « P. Rey-Lescure » (probablement son jeune fils, le futur « Géraud Dumons »), de ce document, sera imprimée à Toulouse (1888) à la suite de la session de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS). Aucune trace ultérieure d’activité géologique des Rey-Lescure, père et fils, ne nous est connue après 1886. Leurs travaux, axés sur des intentions surtout économiques (agriculture, industries) n’ont pas apporté de données originales importantes.
Alfred Caraven-Cachin, lui, tâta de tous les aspects des sciences naturelles et il réalisera en Archéologie une œuvre notable. Ses premières notes géologiques datent de 1863, il avait 24 ans. Ses recherches pour la carte géologique du Tarn auraient débuté en 1868 et il acheva le document en 1885 à Salvagnac : village où il s’était marié en 1883 avec Emilie Murat, fille d’un notaire, Conseiller général du canton. Cette même année 1886, Caraven-Cachin expédie à l’Académie des Sciences un épais dossier afin de concourir pour le Prix Delesse. Les « manuscrits du baron [sic !] Caraven-Cachin » sont conservés (références Man. 2796-2797) à la bibliothèque de l’Institut de France : une « esquisse géographique et géologique du département du Tarn, 1855 [il faut probablement lire 1885], 614 feuillets, planches et tableaux » ; une esquisse similaire existe pour le Tarn-et-Garonne, « 1893, 609 feuillets, planches et tableaux ». Albert de Lapparent, le bien connu professeur à l’Institut Catholique de Paris, obtint le prix. Toutefois, Caraven-Cachin reçut un « encouragement de mille francs [belle somme à l’époque, environ 3000 euros actuels] pour l’aider dans la publication de son travail » (cet échec pour l’obtention du Prix Delesse n’empêcha pas notre salvagnagais de s’intituler dès lors « Lauréat de l’Institut »). Le rapporteur du prix, l’académicien Daubrée, souligna le « grand labeur » de ce « travailleur isolé […] très zélé et habile explorateur », responsable d’une « accumulation considérable de faits ».
Le sort de la carte géologique du Tarn de Caraven-Cachin nous est inconnu. Celui-ci cependant, en 1893, avait écrit que la carte « va être livrée à l’impression ». Par contre, sa carte du Tarn-et-Garonne à 1/80.000 figure, datée de 1883 (référence : in-Folio X 302), à la bibliothèque de l’Institut, sous forme d’une feuille collée sur toile.
Rey-Lescure avait sans doute suivi une formation universitaire à Paris car il parle de « son savant maître M.Hébert », alors véritable pape de la géologie française dans sa chaire de la Sorbonne.
Caraven-Cachin ne fait état d’aucun titre universitaire, ce qui ne l’empêcha pas de devenir membre ou lauréat de diverses sociétés savantes, surtout dans le domaine archéologique. Il se targue d’avoir reçu à Castres, en octobre 1879, « le regretté M.Hébert » et, en 1890, il parle de Leymerie, « le savant professeur de Toulouse » comme ayant été son « regretté ami » (38 ans séparant les deux hommes, il faut sans doute relativiser cette « amitié »).
Caraven-Cachin a écrit, dans des revues ou journaux locaux, une multitude de notes, d’intérêt également local. Se dégagent cependant six textes à l’Académie des Sciences : on retiendra en 1881 son recensement des restes d’Elephas primigenius dans les terrasses inférieures du Tarn (à Gaillac tout spécialement) et de l’Agoût. On doit cependant surtout rechercher la pensée de Caraven-Cachin dans sa grosse « Description géographique, géologique, minéralogique, paléontologique, palethnologique et agronomique des départements du Tarn et de Tarn-et-Garonne ( 1898, libr. Privat et Masson). Son exposé liminaire de « géologie historique » s’achève sur un tableau évaluant à « 9522 m 40 » [sic] d’épaisseur l’ensemble des assises géologiques étudiées, évaluation qui ne signifie rien quand on connaît les incertitudes et les variations des séries géologiques ! L’auteur procède ensuite à la description des formations qui se succèdent.
- Dans le granite du Sidobre, il voit un « granite fondamental qui a été consolidé dans les profondeurs de l’écorce terrestre et qui est venu au jour par faille » : ce point de vue, fréquent à cette époque, s’imposera longtemps.
- Le « Houiller » fait l’objet de longs développements : Caraven rappelle les sondages effectués par l’ingénieur Grand, prouvant l’extension vers le Sud du bassin de Carmaux. Il place justement dans le « Saxonien supérieur » (= Permien) les niveaux gypseux de la Grésigne.
- Si le Jurassique grésignol ne lui apporte rien d’original, le Tertiaire est longuement traité. Sur la rive nord de la rivière, il cite « les grès et sables du bord du Tarn » riches en lignites avec quantité de troncs d’arbres fossiles, ainsi que les lignites du calcaire de Cestayrols. Les « calcaires de Cordes » lui montrent parfois un faciès de « meulières et silex », avec « une belle carrière [sans doute celle d’Amarens, souterraine] qui a été autrefois [nous sommes avant 1898] exploitée pour confectionner des meules de moulin à moudre les grains » (cf. « Les carrières souterraines de Carlus et d’Amarens… », article de Louis Malet, Bull. Soc. Sc., Arts, B. L. Tarn, 1986, t.40, p.363-380).
Ceci mis à part, on se bornera à commenter deux sujets régionalement importants :
1. Les « poudingues de Palassou ». Produits de la démolition des Pyrénées, essentiellement à l’Eocène (50 à 35 M.a.), ils forment de puissantes accumulations au pied nord de la chaîne, des Corbières au Béarn. Cette décharge grossière se dilue vers le Nord dans l’ensemble marno-gréseux continental et d’eau douce de la Molasse. Les galets sont essentiellement tirés des calcaires marins de la chaîne (Jurassique, Crétacé inférieur à Orbitolines, Eocène inférieur - moyen à Nummulites et Alvéolines) qui n’affleurent qu’au Sud de la Montagne Noire et spécialement, pour ce qui nous intéresse, dans les Corbières. Des phénomènes de pression – dissolution amènent ces galets calcaires à s’emboîter partiellement (« galets impressionnés »).
Des niveaux de poudingues de ce type avaient été reconnus par Magnan puis par Rey-Lescure au-dessus des molasses de Puylaurens, mais ces auteurs en faisaient du Quaternaire. L’identification de ces poudingues à la formation « de Palassou » et leur intercalation dans la molasse locale firent l’objet d’une vive discussion de priorité entre le professeur Vasseur, de Marseille, et Caraven-Cachin. Celui-ci en a cependant parlé le premier (1889, A.F.A.S., Congrès de Paris [1890, p.476-486]) mais en nommant sous la même appellation « de Palassou » des faciès conglomératiques variés, même quand ils ne sont que quartzeux (et venus du Massif Central). Vasseur (1893 – 1894) prouva que ces poudingues « pyrénéens » envahissent plusieurs niveaux de la Molasse, et il observa des galets de calcaires à Nummulites (Eocène marin) jusqu’aux environs de Saint-Paul Cap-de-Joux, ce que confirmera en 1909 Mengaud.
2. Les « brèches de la Grésigne » drapent le flanc sud de cet anticlinal. L’âge de ces couches grossières (traitées, selon Caraven, de « calan » dans le pays), à ciment souvent rougeâtre, « peut donner lieu à contestation » : il les attribue à l’Eocène moyen, en les comparant aux argiles et conglomérats des environs de Castres. Il se démarque ainsi justement de Boucheporn (1848) et de Rey-Lescure (1883) qui croyaient que ces « brèches » remplissaient une vallée entaillant la Molasse.
Caraven-Cachin tenta en outre d’apporter sa pierre à la terminologie stratigraphique qui, à l’époque, n’était pas fixée autour de la limite Oligocène-Miocène (25 à 20 M.a.). Ses créations d’ « étages » en milieu continental – le « Varénien », pour l’Oligocène terminal ; l’ « Allocène », pour une période ( ! ) intercalée entre Oligocène et Miocène, etc. – n’eurent aucun écho.
Alfred Caraven-Cachin apparaît au total comme un géologue amateur consciencieux, extrêmement prolixe, se noyant dans le détail et soucieux de respectabilité, tant sociale que scientifique.
S’il n’a pas apporté de résultats fondamentaux, son œuvre ne peut pas non plus être occultée.
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